Omar Khadr: War criminal, child soldier… or neither? (French)

GRANDIR À GUANTANAMO ET TOUT FAIRE POUR EN SORTIR

Par Heather Marsh


Prises de vue de l’interrogatoire d’Omar Khadr. Via Flickr

Lundi, Omar Khadr a fait sa première apparition devant un tribunal canadien. Après un périple de onze ans qui l’a mené de Bagram à Guantánamo, puis à la prison canadienne de Millhaven, ce natif de Toronto est désormais détenu dans la prison fédérale d’Edmonton. Il avait 15 ans quand il a été capturé et torturé à Bagram. Il a fêté ses 27 ans jeudi dernier.

Si vous n’avez jamais entendu parler de l’affaire, voilà, en gros, ce qui s’est passé : quand les Américains ont arrêté Omar en Afghanistan, on l’accusait d’avoir lancé une grenade ayant causé la mort d’un soldat américain. Il a clamé son innocence pendant huit ans, jusqu’à ce qu’il signe un accord, en 2010, qui lui a permis de sortir de Guantánamo. Cinq chefs d’accusation de crimes de guerre ont été retenus contre Omar, des chefs d’accusation qui n’ont pas été reconnus comme tels dans le reste du monde – dont le Canada.

Le cas d’Omar est particulièrement complexe. Même si le soldat américain qu’il est accusé d’avoir tué a certainement été victime d’un jet de grenade, il n’existe aucun élément prouvant que c’est Omar qui l’a lancée. Même si Omar a certainement confessé ces crimes, c’était au bout de huit ans de torture et après qu’on lui a laissé le choix entre camper sur ses positions et rester à Guantánamo ou avouer ses crimes et rencontrer un juge au Canada. Les conditions de sa confession et la confession elle-même posent problème.

Cela mérite d’être relevé, d’autant que le récent recours Hamdan aux États-Unis – en référence àl’ancien chauffeur d’Oussama Ben Laden, relaxé après avoir fait face à plusieurs chefs d’accusation pour terrorisme – a montré que les crimes de guerre jugés par la Commission devaient faire l’objet d’un accord international. Cette jurisprudence pourrait être exploitée dans l’affaire Omar Khadr.

La Cour Suprême canadienne est arrivée à la conclusion que le gouvernement américain avait violé les droits d’Omar, mais a laissé la décision au gouvernement Harper qui bien entendu a botté en touche.

Le Premier ministre Stephen Harper n’a pas mâché ses mots quant à l’issue souhaitée du jugement, le jour même du procès, dans une tentative non dissimulée d’influencer les délibérés. Harper a juré de régler cette affaire « vigoureusement », en utilisant des tournures de phrase très similaires à celles de Steven Blaney, ministre de la Sécurité publique du Canada.

L’avocat d’Omar, Dennis Edney, s’est présenté devant le tribunal pour plaider en faveur du transfert de son client d’une prison fédérale à une institution provinciale. Il a argué de l’âge de l’accusé au moment des faits. Dans un exercice troublant de double discours judiciaire, l’accusation soutient qu’Omar n’a pas vraiment été condamné à huit ans, mais plutôt à cinq peines de huit ans purgées en même temps. Le vice-président de la Cour Suprême, J.D. Rook, a remis son jugement à une date ultérieure encore indéterminée.

La journaliste Heather Marsh était présente au procès d’Omar lundi et nous a écrit sur le sujet.


Un essaim de journalistes autour de l’avocat d’Omar Khadr après le procès de lundi. Photo : Heather Marsh

Lundi, le tribunal semblait rempli de soutiens à Omar Khadr. Nombre d’entre eux étaient habillés en orange ou portaient des rubans orange. J’ai parlé à plusieurs d’entre eux. Une lycéenne qui séchait probablement les cours, des étudiants qui avaient pourtant des examens la semaine suivante, et des gens de tous âges et de toutes ethnies. Les journalistes ont dû être transférés dans le box des jurés et le public encouragé à se serrer : environ 120 personnes étaient présentes dans la salle, et une retransmission en direct était diffusée dans une salle annexe.

Un vigile a dit à l’avocat d’Omar qu’il pourrait s’exprimer dans une salle privée en dehors du tribunal, mais Dennis Edney a rétorqué que c’était une séance ouverte et qu’Omar avait le droit d’être présent. Après une courte altercation, Omar a pu entrer.

Contrairement à ce qu’ont déclaré certains médias le décrivant comme un « géant », Omar est un homme de taille moyenne avec une carrure de joueur de foot et une barbe soigneusement taillée. Quand il est rentré au pays l’année dernière, il a écrit à Seger M., un de ses soutiens, âgé de 11 ans : « Moi aussi je joue au foot, mais je ne pense pas être aussi bon que toi. Normalement, je joue en défense ou dans les buts. » Il parle au présent, même si, depuis son retour au Canada, il vit en cellule, dans un isolement quasi complet.

Heather Marsh : « Le juge dans l’affaire Khadr est vice-président de la Cour Suprême, il s’est auto-assigné l’affaire qui repose sur de multiples condamnations, consécutives ou simultanées. »

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Col. Morris Davis : « @GeorgieBC (Heather Marsh) Sur les pages 4891-92 de son compte-rendu du procès, il est clair qu’il s’agit de 8 ans au total pour l’ensemble de ses délits. »

L’auteur discutant de l’inanité des arguments de la Cour avec l’ancien procureur général d’Omar, quand il était à Guantánamo.

Omar m’a écrit lorsqu’il a été rapatrié au Canada, à l’automne dernier : « Au moins, nous avons un système juridique digne de ce nom. » Cette semaine, il a aussi confié à un autre correspondant que ce serait sa première comparution devant « un vrai tribunal ». Il semblait calme et heureux tout au long de la procédure, et adressait de fréquents sourires à la foule. La majeure partie des discussions que j’ai pu entendre lors des pauses tournait autour de son apparence et de son comportement, et non des arguments légaux. Omar et son groupe de soutien étaient tout autant stupéfaits de se rencontrer enfin, après onze ans et demi.

Au cours de l’après-midi, un homme a interrompu les débats en déchirant sa chemise et en hurlant : « Ça suffit ! Il avait 15 ans ». Il s’est fait sortir sans qu’Omar ou le reste de la salle ne lui prête attention. Àla fin de la journée, après le départ du juge et la sortie sous escorte d’Omar, un déchaînement spontané a envahi la salle, des gens faisaient des signes de la main et criaient : « Bravo, Omar ! » et « Sois fort ! »

Après l’audience, Dennis Edney est allé à la rencontre des journalistes à l’extérieur du tribunal et leur a dit qu’Omar aurait beaucoup plus de chance d’être libéré sur parole dans un centre de détention provincial, où il aurait accès à des programmes de réinsertion, en contact avec la société. « S’il reste dans un pénitencier fédéral où il passe le plus clair de son temps enfermé, où sa vie est en danger, il ne sortira jamais. »


Une manifestante en faveur d’Omar Khadr, en 2009. Via WikiCommons.

Tant qu’Omar restera dans une prison fédérale, il sera maintenu dans la solitude pour sa propre sécurité. Il a écrit la chose suivante à un ami, à propos de Millhaven : « Ma nouvelle prison est complètement différente. Les gens sont gentils en général, mais ils ont plein de mauvaises habitudes. La vie ici t’oblige à vivre comme un animal parce que c’est comme une jungle. Je dois changer un peu pour pouvoir me défendre, mais ne pas perdre mon humanité et mon identité. »

Afin d’être éligible à la liberté sur parole, Omar doit prouver qu’il peut évoluer parmi les personnalités que notre société considère comme les plus intolérables. Au cours de son procès, il a été répété à plusieurs reprises qu’il ne pourrait pas être libéré parce qu’il avait « baigné dans le djihad » en tant que prisonnier de Guantánamo et à Bagram lors de ses années de formation. Ça devient du Kafka.

Il est de notoriété publique que le Canada a violé les droits d’Omar Khadr en l’interrogeant pour le compte des États-Unis tout en sachant pertinemment qu’il venait de vivre trois semaines de privation de sommeil et autres « techniques d’assouplissement » avant l’interrogatoire. Pendant huit ans, on a aussi refusé de lui fournir ne serait-ce qu’une paire de lunettes pour préserver l’acuité visuelle restante dans son œil encore valide ou de lui dispenser la moindre éducation afin de lui permettre, éventuellement, de se réinsérer. S’il n’a reçu aucune éducation formelle au-delà de l’école primaire, il a récemment décroché un diplôme de niveau première de l’État d’Ontario, avec plus de 90 %de bonnes réponses dans tous les sujets, anglais, maths, histoire, géographie et sciences.

L’isolement cellulaire est considéré par beaucoup comme de la torture, et plusieurs années de recherches ont montré les dommages permanents qui pouvaient en résulter. Après onze ans de solitude presque totale, Omar semble être l’une des exceptions à la règle. Il réussit même à tirer du positif de cet isolement. En avril, il a écrit à Aaf Post, aux Pays-Bas : « On ne prend pas souvent le temps de profiter des choses simples. On croit qu’elles nous sont dues. C’est en perdant ces choses, comme ouvrir une fenêtre le matin, prendre un bon bol d’air frais ou entendre le gazouillis des oiseaux, qu’on les apprécie vraiment. Même si je suis en prison, il y a toujours un tas de belles choses autour. Voir le soleil briller ou se coucher, voir la neige tomber. »

« Comme tu l’as dit, c’est merveilleux d’être de retour au Canada. Aussi difficile que soit ce changement, ça en vaut la peine. Il y a trop de belles choses dans cette vie pour s’inquiéter ou se soucier des mauvaises choses. Les choses sont ce que nous en faisons. La prison peut être une privation de liberté ou une occasion de gagner en sagesse. Pour moi, c’est la deuxième option. »

L’auteure tient à remercier l’association Free Omar Khadr pour l’aide apportée dans ses recherches.

Suivre Heather sur Twitter : @GeorgieBC.

2 thoughts on “Omar Khadr: War criminal, child soldier… or neither? (French)

  1. Ça me touche beaucoup ce que Omar dit à propos de profiter des petits rien. J’ai même écrit un article sur mon blogue à ce propos à http://lacloture.ca/pourquoi-la-cloture/ J’ai fait de la prison aux États-Unis et j’ai bénéficié du transfert moi aussi. On discutait beaucoup du cas de Omar entre canadiens. Je dois dire que je suis bien déçu du présent gouvernement canadien.

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